Day 60 : route au milieu de nulle part, Est du
Cambodge – 8h07
Nous avons conclu notre séjour à Siem Reap par une
sympathique soirée au centre-ville : pizza, salade césar et bière dans un
petit restaurant à ambiance lounge. Je tenais à tester un massage avant mon
départ, sceptique quant au fait d’en trouver facilement dans les coins moins
touristiques. Les masseurs de rue proposent un tarif imbattable, 3$ pour 30
minutes, avec une bière gratuite. Me voici donc avec ma deuxième bière de la
soirée, aux mains d’un masseur. C’est d’ailleurs la première fois que je suis
prise en charge par un homme. Dos, épaules, bras et tête. Le reste du
« salon » est désert, je me sens donc passablement observée par tous
ses collègues, avec qui mon masseur discute avec entrain…
Départ à 5h le lendemain matin. Le van le plus pourri de
l’histoire automobile vient nous chercher, avec une vingtaine de minutes de
retard. Il prend environ une heure pour faire le tour de tous les hôtels de la
ville pour récupérer d’autres passagers, puis nous déposent tous à une station
où un bus nous attend. Théoriquement, nous en avons pour 11 heures au total.
Sauf que, non, en fait. J’essaye de suivre notre itinéraire via les panneaux
sur le bord de la route, et j’ai beau ne pas avoir une parfaite connaissance
géographique du pays, il me semble que nous sommes beaucoup trop descendus vers
le sud compte-tenu de notre destination. Vers midi, nous nous arrêtons pour
« manger » (j’opte pour une assiette de riz blanc et des madeleines après
un regard aux plats de viande recouverts de mouches). Il est amusant de
constater à quel point l’équipe du bus se moque de fournir des indications. On
nous annonce une pause d’une heure, mais alors que j’insiste pour obtenir des
renseignements, un autre homme indique que notre bus est là et qu’il faut vite
partir… WTF ? Une heure plus tard, nous changeons à nouveau de bus. Ce
troisième véhicule a la particularité d’avoir des sièges plus petits, et de
diffuser des programmes cambodgiens peu passionnants avec les haut-parleurs à
fond. Nous nous armons d’un netbook pour regarder « Grease ». Ce qui
est cool, mais après cela nous n’avons plus assez de batterie pour un second
film et il reste, selon le contrôleur, 4 heures de route. Route qui,
d’ailleurs, constitue un dépaysement assez brusque. On m’avait évoqué la notion
de « choc culturel » que je n’avais pas encore eu l’occasion de
ressentir, mais l’expression prend tout son sens quand je regarde par la
vitre : le paysage est une immense plaine, une végétation aride à perte de
vue, dans laquelle se découpe des carrés de terre d’où émergent des baraques
sur pilotis. Elles font toutes sensiblement la même superficie et la même
hauteur, de bois, dans un état de fraîcheur plus ou moins passé. Je ne
comprends pas si les portes sont toujours ouvertes ou s’ils n’en ont pas du
tout, mais on voit relativement bien l’intérieur de leurs habitations :
une grande pièce unique, un lit ou des hamacs, pas ou peu d’autres meubles. En
dessous à l’ombre, il y a parfois des vaches qui se reposent, ou des enfants qui
jouent nus dans la poussière, ou une femme qui puise de l’eau à l’aide d’une
pompe. Même dans les coins les plus perdus de la Thaïlande, nous n’avons pas vu
un tel état de dénuement. Alors que la nuit tombe, nous constatons que les
habitants ont bien l’électricité, mais s’en servent de manière spartiate, pour
l’unique ampoule éclairant leur unique pièce. La cuisine se fait au feu de
bois, en-dessous de la maison.
Nous arrivons donc à 21 heures, 4 heures après l’heure
indiquée à l’agence au moment de l’achat des billets. Le bus a en fait effectué
un fabuleux détour, serpentant dans toute la région pour y prendre ou y déposer
des passagers. L’agression des motos-taxi commence et je constate qu’il n’y a
pas de tuk tuk. Le chauffeur le plus tenace propose d’aller nous en chercher
un. Je ne me sens pas de faire de la moto avec nos énormes sacs, j’accepte donc
avec empressement. 10 minutes et 2$ plus tard, le chauffeur nous a trouvé un
hôtel au cœur de la ville. Nous prenons la chambre, posons nos sacs et partons,
le pas léger, découvrir Banlung et notre dîner bien mérité après tout ce
trajet.
Nous allons très vite découvrir que, quand le guide de
voyage parlait de Banlung comme « peu touristique », c’était un doux
euphémisme. Il n’y a pas vraiment de restaurants locaux, seulement des stands
nomades au milieu de la rue principale. Il y a au choix, de la viande en
barbecue (de la volaille qui ressemble à s’y méprendre à des poussins, tourne
sur de grandes broches, dans plusieurs stands) ou du « porridge »
(=riz dans du bouillon avec plein de trucs non identifiables). Nous arpentons
la rue, Cyril tente le porridge et j’aborde un des stands de barbecue où
pendouille la cuisse d’un quelconque animal : je me rattache au fait que je
ne veux pas manger de poussins et que cette viande semble attirer moins de
mouches que les autres. La tranche que le cuistot me fait griller (de la vache,
dit-il) est plutôt bonne. Je me sens comme une néandertalienne à manger ce truc
sans couverts, au milieu de la rue. En face de moi, Cyril lutte avec son
porridge. Je suis un peu surprise de l’attitude peu avenante des commerçants,
qui ne font pas vraiment d’effort pour communiquer, certains refusent le
paiement en dollars, d’autres essayent carrément de « revoir » le
taux de change… Nous prenons aussi un dessert à emporter, une sorte de gâteau
de riz pataugeant dans du lait de coco. Ca n’en a pas l’air mais c’est
délicieux.
Nous avons apparemment pris un nouveau rythme de sommeil
puisque que nous sommes réveillés à 5h. Nous hésitons un peu, puis partons
explorer la ville. L’espoir que les choses soient mieux de jour disparaît assez
vite. Banlung, c’est moche. Dans le genre poussiéreux et délabré. Nous essayons
la visite du marché, sait-on jamais : l’entrée de ce dernier est une
grosse décharge où un enfant en pyjama fouille les détritus. A savoir, le
pyjama est une tenue très en vogue au Cambodge, les enfants comme les adultes.
Bref, plus loin dans le marché, en cette heure matinale qui précède mon petit
déjeuner, je découvre les stands de poissons : il y a ceux qui sont morts
et couverts de mouches, et ceux qui se débattent encore dans des cuves
minuscules surpeuplées. La partie boucherie est encore plus sympa, plus
visuelle, avec d’immenses carcasses qui se balancent. Il est amusant de
notifier que la viande y est encore accrochée, que les marchandes ont cependant
récupérer tous les organes possibles sur les bêtes pour en faire des gros sacs
plastiques parce que ce sont CA qu’elles vendent… Mon grand regret à ce moment
du texte, c’est que les quelques photos prises rendent à peu près compte de ce
que mes yeux ont rencontré sur ce marché, mais rien au monde, ni les appareils
photos, ni les mots, ne sauraient restituer l’expérience olfactive de cet
instant. Je laisse le lecteur méditer là-dessus, en ajoutant simplement que je
n’avais plus vraiment faim, ce qui est plutôt une bonne nouvelle parce que nous
n’avons pas trouvé de vrai petit déjeuner (Cyril a acheté un sac d’une sorte de
bugne recouverte de graines de sésame, mangeable mais pas terrible).
Nous louons deux vélos pour une excursion vers un lac en
bordure de la ville. L’un n’a pas de vitesse, l’autre pas de frein. Le chemin
alterne des montées et des pentes un peu raides : un bonheur.
Heureusement, le trajet n’est pas trop long. Nous payons l’entrée et descendons
sur la rive : le lac, assez étendu, est connu parce que logé dans le
cratère d’un volcan éteint. Nous longeons les rives pendant près d’une heure,
la ballade est agréable et le chemin bien ombragé…
De retour à l’hôtel, Cyril choisit un film :
« Eastern Promises », saisissante prestation de Viggo Mortensen…
Après cette pause, nous partons à la recherche d’un repas. Un chariot propose
des nouilles sautées. Quel grand moment que celui où j’explique par des gestes
à la vendeuse que non, je ne veux pas de légumes bizarres et fripés, ni de
sauce au piment, et surtout pas de ce qu’elle a en stock comme
« viande » (=sachet rempli de trucs blancs qui ressemblent
fâcheusement à des vers). Le reste de la journée se divise entre zapping télé
et massage. Devant l’hôtel nous retrouvons le chauffeur qui nous amené ici.
Nous lui proposons de nous reconduire à la station de bus le lendemain matin et
nous nous donnons rendez-vous.
5h30 ce matin (encore ?), pas de chauffeur, pas de
tuk tuk. Les motos-taxi qui stationnent là ne comprennent pas un mot d’anglais…
Je commence à flipper que nous manquions le bus, quand miracle, un autre
moto-taxi arrive, il parle anglais, et nous pouvons enfin quitter Banlung,
peut-être même tenter d’oublier que nous y sommes venus… Relativisons :
ils ont un joli lac, et un super gâteau de riz…
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